Françoise Nyssen éditrice d’un livre pour la gloire d’un poseur de bombe  du PCA-FLN Fernand Iveton

Françoise Nyssen, Elle en veut un peu à Edouard Philippe, qui, suggère-t-elle, l'a virée trop tôt " comme pseudo ministre de la culture. Les mots assassins dansent un instant dans son regard : on l'a dite "faible", "hésitante", "maladroite", "à côté de la plaque", "novice de forme".
Françoise Nyssen.

C'est une "opiniâtre", comme dit son demi-frère Jules, directeur général de Régions de France.


Une dure à cuire, sous ses dehors tendres. Dans cette aventure, elle a perdu pour l'heure le confort de son fauteuil de présidente du directoire des éditions Actes Sud, et les conseils d'administration auxquels elle s'attablait (Bibliothèque nationale de France, EuropaCorp, musée du Quai Branly, Centre national du cinéma, Société marseillaise de crédit).

 


Sa réussite à la tête du groupe Actes Sud, qu'elle présente obstinément comme un "écosystème", était un gage d'efficacité et de modernité. Elle s'était même vue décerner en 1991 le prix Veuve Clicquot de la Femme d'affaires de l'année.


L'éviction menace. A l'été, Le Canard enchaîné lui assène le coup de grâce en révélant qu'elle et son mari ont agrandi leurs bureaux arlésiens et parisiens en s'asseyant sur les règlements.


En juillet, se pliant à l'avis de la Haute Autorité, qui évoque un potentiel conflit d'intérêts, le chef du gouvernement retire à sa ministre le secteur qu'elle connaît le mieux, l'édition. Même son bilan deviendra l'objet de quolibets.


On l'avait encensée. La voilà lynchée. Est-ce bien de la même personne dont on parle ? On l'a illico rangée au rayon des erreurs de casting. Il suffit de creuser l'histoire de sa jeunesse pour deviner que ce credo la protège depuis toujours. C'est sa façon à elle de déminer les conflits et de se rendre inattaquable. "Françoise est toujours en quête d'approbation", souligne une amie d'Arles. Fille unique d'une mère peu démonstrative et d'un père centré sur lui-même qu'elle a vu se déchirer, elle a vécu une enfance esseulée dans une banlieue plutôt chic de Bruxelles. La jeune fille se réfugie dans les livres. La rupture conjugale survient lorsqu'elle a 13 ans - "C'était mieux après", dit-elle simplement. Elle reste en tête à tête avec une mère endolorie. "Elles avaient des relations de copines, raconte son ex-mari, Jean-Philippe Gautier.


Françoise n'a d'ailleurs jamais appelé ses parents ni "Maman" ni "Papa"." Mais elle les admire. Ils lui ont appris que la vie doit avoir un sens et qu'il faut vivre de son travail. Hubert, lui, s'est lancé avec succès dans la publicité et organise aussi des expositions, des concerts.
Mais il a 40 ans, l'âge de changer de vie. Sa grand-mère tourangelle lui répétait enfant qu'il devrait un jour retourner en France : "Au sud de la Loire, pour être sûr de ne pas revenir." Il vend son agence de pub et convainc Christine Le Boeuf, son nouvel amour, de partir s'installer à Arles. Il veut prendre le temps d'écrire. Pour vivre, il anime des formations. 

Radicalement à gauche

En 1968, le lycée français est gagné par la contestation. Craignant la contamination, les autorités belges avaient fait savoir qu'elles fermeraient l'établissement en cas de grabuge. Françoise est en terminale. Elle monte en première ligne. Ses cheveux blonds, longs et raides, lui battent le dos. Un jeune prof d'histoire-géo remplaçant remarque cette fille un peu girl-scout. Elle a 17 ans. Jean-Philippe Gautier en a 25. Ils s'aiment. "Radicalement à gauche, elle était à la fois primesautière et sérieuse, très pénétrée, se souvient-il. Comme tout ce qu'elle a toujours fait, c'était avec sincérité et enthousiasme.".

Elle s'engage un temps dans le groupuscule maoïste du Belge Jacques Grippa. 

Tous deux en quête de combat social, Jean-Philippe et Françoise quittent leurs banlieues bourgeoises, qu'ils jugent "insupportables", pour s'installer dans le centre-ville de Bruxelles, à l'époque abandonné aux plus démunis. Ils achètent une maison à bas prix rue du Béguinage.
Elle s'investit même dans une "école des devoirs" destinée à accueillir après l'école les enfants dans le besoin. Ils ont une fille puis, par idéalisme, ils adoptent un enfant coréen. Mais ils se séparent en 1978. Françoise a 27 ans. 


Elle reprend ses enfants, son piano, ses jupes longues, ses sabots hippies et file au volant d'une camionnette de location vers le sud.
Direction Paradou, le village provençal où son père vient de lancer une modeste maison d'édition dont personne n'imagine le formidable futur.


En 1978, La Campagne inventée sort sous le label Actes Sud.

La bergerie servira de nid aux maquettes et aux couvertures que Christine réalisera.

Françoise et ses enfants emménagent au-dessus.

"On a décidé de s'agrandir et de s'organiser en coopérative ouvrière de production, poursuit Christine Le Boeuf.

Un jeune étudiant sonne à la porte : "Je veux travailler avec vous, nourrissez-moi, logez-moi, ça me suffit." C'est Bertrand Py, qui lira les manuscrits auprès d'Hubert Nyssen puis lui succédera dans ses fonctions de grand manitou de la littérature quand le patriarche se mettra en retrait au milieu des années 1990. En 1982, l'un des coopérateurs amène à Paradou un ami, Jean-Paul Capitani. Lui et sa famille sont réputés posséder la moitié d'Arles, ce qui est exagéré.

De fait, son grand-père maçon, fils d'immigré italien, avait racheté et retapé assez de bâtiments en mauvais état pour enraciner très largement sa descendance. Françoise et son père sont emballés par le projet. Elle, surtout.


Une liaison se noue.

Les éditions s'installent au Méjan. L'association culturelle du même nom est créée en 1984.

On organise à la chapelle des lectures, des expos, des concerts. Les bases de "l'écosystème" Actes Sud sont jetées. Jean-Paul et Françoise ne se quitteront plus.

Le couple Nyssen-Capitani n'était pas non plus obligé de tendre la main à Maxime Frérot, ex-membre d'Action directe, doublement condamné à la perpétuité en 1989 et 1992. "Ils l'ont initié aux métiers du livre dans le plus grand secret lorsqu'il était en liberté conditionnelle, se souvient une personnalité de la ville. Sa peine purgée, ils l'ont intégré à la famille, invité à tous les dîners.
Il dirige aujourd'hui le cinéma qu'ils ont créé en 2011.

"La coopérative a vécu Françoise devient en 1987 PDG de la société Actes Sud, de fait codirigée avec son père, son mari, et Bertrand Py.
Françoise et Jean-Paul ont eu envie de grossir tout en tenant leur discours performatif, nous sommes une petite maison provençale de gauche, etc.", précise une ancienne.

Une musique qui agace pas mal à Arles, où l'on râle - comme à Paris - contre une certaine "radinerie" en matière de salaires, et où l'on estime que le militantisme culturel affiché habille plaisamment le sens des réseaux de Françoise et l'intérêt commercial d'Actes Sud.

Avec ses trois salles de cinéma, son hammam, ses expos, ses concerts, Actes Sud est devenu un acteur puissant de la ville, son premier employeur.


En 1994, le conseil municipal lui a voté une adresse ad hoc, place Nina-Berberova.

Vous en connaissez beaucoup, des maisons d'édition qui habitent la rue de leur auteur préféré ?

Actes Sud a été l'une des premières entreprises à mettre en place les 35 heures.

Sa patronne est un pilier de l'association Progrès du management. Elle offre 600 livres par an à une prison locale. "Elle est même venue rencontrer les détenus", précise une intervenante, Sylvie Ariès. 

Dans une revue de la Société anthropo­sophique de France, Françoise Nyssen évoquait en 2016 sa famille "très anticatholique, franc-maçonne"

Le 20 juin 2018, Le Canard enchaîné révèle que la maison, située dans un quartier classé, a entrepris des travaux d'agrandissement sans déclarer les travaux ni solliciter l'aval de l'architecte des Bâtiments de France.

Celui-ci est venu voir et a signifié ses reproches en 2014 à la direction d'Actes Sud, qui n'en a pas tenu compte, pas plus que de l'avis "défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement", émis dès 2011 par la commission de sécurité. Péché ­véniel, plaide Capitani. "Les travaux, Françoise s'en fout.

C'est moi le père hôtelier de la maison." Dans les couloirs de la mairie, on confirme : "L'immobilier, c'est lui, et il se croit tout permis. Elu chargé de l'urbanisme, David Grzyb ronchonne : « Redoutable homme d'affaires, il considère qu'on est des ploucs et que, vu l'importance de ses projets, il peut s'accommoder de la règle ».